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La « bombe à retardement » française peut être désamorcée en toute sécurité, par Huw Pill

[Below is a translation of an op-Ed written by Huw Pill, chief European economist, Global Investment Research, Goldman Sachs, which appeared in The Financial Times on 23 April 2014.]

Ce n’est pas là qu’il faut chercher le risque systémique pesant sur la zone euro.

La France a été qualifiée par certains de « bombe à retardement » au cœur de la zone euro. C’était exagéré, bien qu’il y ait sans aucun doute besoin de réformes importantes.

Les mesures prises sont restées limitées pour l’instant. Mais la bombe à retardement n’a pas explosé. La croissance française a repris, même si c’est à un rythme anémique, et les taux des obligations d’État restent à leur plus bas depuis des décennies. La perspective d’une crise de la dette souveraine française comparable à celles qu’ont connues les pays périphériques demeure lointaine. Pour résumer, les détracteurs de la France ont été déçus.

Mais la bombe est-elle désamorcée? Ou s’agit-il simplement d’une mèche lente?

La France profite du fait que les investisseurs institutionnels, y compris les compagnies d’assurance de l’Europe du Nord, les banques centrales asiatiques et les fonds souverains n’ont pas d’autres choix que de conserver les actifs à échéance lointaine libellés en euros. La dette des pays périphériques comporte encore trop de risques pour ces investisseurs prudents. Ayant vendu les obligations des pays périphériques dans un souci de se protéger au plus fort de la crise de la zone euro, ils ont fait le plein de Bunds allemands. Mais la France étant toujours considérée comme faisant partie du cœur de l’Europe, sa dette souveraine offrant des rendements supérieurs trouve toujours preneur.

La pression du marché sur la France pour mettre en œuvre des réformes est par conséquent discrète - du moins en comparaison avec la forte contrainte subie par les pays périphériques au plus fort de la crise de la dette souveraine.

Une mèche lente

On peut penser que l’absence de pression du marché génère de la complaisance. L’indiscipline budgétaire maintient les dépenses publiques à des niveaux qui ne peuvent être tenus indéfiniment, même si les conditions généreuses de financement les soutiennent à court terme.

Voici la mèche lente : les choix politiques intenables entraînent inévitablement la crise, même si son déclenchement est retardé grâce à la facilité de financement.
Même  en étant très optimistes, nous ne croyons pas qu’une réforme économique rapide transformera l’économie française du jour au lendemain. Les sensibilités politiques nationales l’excluent. Mais le répit accordé par les conditions favorables de son financement souverain laisse entrevoir la possibilité d’un processus d’ajustement progressif - et potentiellement plus efficace. Cette perspective permet d’envisager de désamorcer la « bombe à retardement » française en toute sécurité.

Les arguments plaidant en faveur d’un ajustement progressif sont solides. La brutalité de la restructuration macroéconomique réalisée en Espagne sous la pression du marché a eu un coût élevé, comme le montre l’évolution de la courbe espagnole du chômage. Et la décision de consolider de manière agressive la deuxième économie de la zone euro risquerait d’exacerber l’insuffisance de la demande dans toute la zone, renforçant ainsi les risques de déflation.

Cependant, l’aspiration à la progressivité en théorie pourrait servir en fait d’écran de fumée à l’inaction en pratique. Il existe deux raisons de se montrer plus optimiste que cela.

Tout d’abord, les autorités françaises ont entrepris plus qu’on leur reconnaît. Les réformes du travail menées l’an dernier permettent une plus grande flexibilité  pour les entreprises.

Certes, de telles initiatives ont à peine touché à des problèmes plus sensibles sur le plan politique et plus importants sur le plan macroéconomique : abaisser les allocations de chômage de longue durée; réduire le nombre de fonctionnaires; encourager une réallocation des ressources entre les secteurs, pas seulement dans les entreprises. Mais il faut bien commencer quelque part.

Un processus hésitant

La réforme en France restera un processus difficile, mené à l’écart de l’attention politique. L’approche indirecte est la seule option viable politiquement. Alors que les bénéfices macroéconomiques de la restructuration sont encore lointains, les acteurs du marché devraient être conscients de la valeur créée par les réformes, même quand celles-ci sont menées sans tambour ni trompette, comme ce serait le cas dans le monde anglo-saxon.

Ensuite, l’État français est peut-être trop gros, mais il conserve la capacité institutionnelle de mettre en œuvre des réformes, une fois que le courage politique de les lancer aura été trouvé. On ne peut pas en dire autant de tous les partenaires de la France dans la zone euro. Cette capacité institutionnelle est ce qui permet à la France de continuer à faire partie du cœur de l’Europe, malgré des défis économiques considérables.

Il ne s’agit pas d’un tableau naïvement optimiste de l’ajustement en France. Il y a beaucoup à faire. Le discours récent du Président François Hollande prouve qu’il a compris ces défis, mais il faut agir, les discours ne suffisent pas.

Le couple franco-allemand reste le moteur de l’intégration européenne. Redémarrer ce moteur est déterminant pour que la zone euro puisse fonctionner. La confiance des Allemands dans la volonté et la capacité de la France à mener des réformes - et à en supporter les conséquences économiques et politiques - doit être rétablie. Il faut des résultats, pas seulement des promesses. Toutefois, le changement est dans l’air en France, de façon plus crédible que beaucoup ne le pensent. Si vous êtes à la recherche de la source de la menace systémique pesant sur la zone euro, cherchez ailleurs.